dimanche 31 octobre 2010

Proposition Antonio Negri pour la séance du 3 novembre



Le commun semble être en Occident le lieu du non-droit. Non seulement il n’existe pas comme concept, mais il n’a pas de statut comme res. Nous reprenons au biologiste Garret Harding (« The Tragedy of Commons », in Science, 1968) une parabole qui illustre ce genre de lecture, et que cite à son tour le juriste italien Ugo Mattei :

Le commun entendu comme ressource librement appropriable, c’est-à-dire comme ressource commune, est une idée considérée comme inimaginable et néfaste parce qu’elle stimulerait les comportements opportunistes d’accumulation qui auraient tôt fait d’en déterminer la consomption définitive. Quand on raisonne de cette sorte, on considère comme réaliste l’image d’une personne qui, invitée à un buffet où une grande quantité d’aliments serait librement accessible, se jetterait sur celui-ci en cherchant à ingurgiter la plus grande quantité possible de calories au dépens de tous les autres, c’est-à-dire à consommer le maximum de nourriture en un minimum de temps, selon un simple critère d’efficacité. Dans un tel modèle anthropologique, le sens de la limite, créé par le respect éprouvé à la fois à l’égard de l’autre et à l’égard de la nature, est ainsi exclu a priori : il est irréaliste dans la mesure où il est fondé sur une vision scientifique purement quantitative.

J’aimerais à proposer un certain nombre de courtes indications pour expliquer ce type de modèle et m’y opposer à mon tour.

dimanche 24 octobre 2010

Contribution pour la séance du 3 novembre de Pierre Dardot

La question du passage

Pierre Dardot

« Du public au commun » : le titre du séminaire a tout d’une annonce programmatique, ce qui est plus encore mis en évidence par le thème des deux exposés de cette première séance, « Le passage du public au commun ». En effet, avec le terme de « passage », ce qui est encore implicite dans le titre devient explicite : on a là l’idée, non d’un passage qui serait déjà en cours ou d’un processus déjà engagé, mais bien à mon sens d’un passage qui dessine les contours d’une tâche en ce qu’il définit ce qui est souhaitable et même nécessaire, ce qui mérite par conséquent d’être promu au rang d’objectif par et pour l’activité pratique. Entendu ainsi, le titre veut dire : il faut passer du public au commun, de quelque manière qu’on entende ce « il faut » et quelque précaution que l’on prenne pour le distinguer d’un devoir-être abstrait. La question préjudicielle, celle qui se pose préalablement à la question du ou des modes du passage (comment effectuer ce passage ?) est donc la question de la nécessité d’un tel passage (pourquoi faut-il passer du public au commun ?). Mais on peut encore aller au-delà, jusqu’à se demander ce que présuppose le fait même de s’interroger en termes de « passage ». On pourrait se demander quel rapport se trouve par là impliqué entre le point de départ du passage et son aboutissement ou sa fin. De toute évidence, si un passage est possible, c’est que le rapport ne peut pas être un rapport de pure et simple confrontation ou d’exclusion mutuelle. On ne saurait en effet se proposer de « passer du privé au commun » tant le rapport entre les deux est justement d’opposition directe, alors qu’on peut très bien se proposer de substituer le commun au privé, mais à condition d’être conscient que cela même présuppose la destruction du privé, ce qui est tout, on en conviendra aisément, sauf l’amorce d’un passage. La question vaut d’autant plus la peine d’être posée que le public semble à première vue s’opposer également au privé, c’est-à-dire avoir le même contraire direct que le public, de sorte qu’il paraît assez tentant de rapprocher le commun et le public jusqu’à les rendre indiscernables l’un de l’autre.

jeudi 7 octobre 2010

Du public au commun : présentation du projet

Contribuer à frayer de nouvelles voies à la pensée sociale et politique, telle est l’ambition du séminaire « Du public au commun » qui se tiendra en 2010-2011 à Paris.

Le défi n’est pas mince. La logique néolibérale de privatisation et de concurrence s’est épanouie sur les ruines du « socialisme » et du « communisme » dans leurs expressions historiques étatiques. Qu’il ait été dicté par la résignation ou par le calcul, le consentement à cette logique a conduit à la destruction de toute opposition consistante.  Lui opposer les morceaux dépareillés des « systèmes » idéologiques et théoriques anciens relèverait d’une impasse historique. En particulier, il serait stérile de s’enfermer dans une posture de « défense des services publics » qui condamnerait à camper sur une position purement défensive. La crise actuelle du système capitaliste nous impose d’ouvrir une alternative qui soit à la hauteur de ses enjeux et qui permette à la gauche de reprendre l’offensive sur le terrain des idées.

Nous sommes convoqués à penser autrement l’avenir, à penser avec de nouveaux concepts. Le « commun » n’est pas un spectre, il est une idée neuve. Le terme n’est pas un slogan simplificateur et commode, il désigne bien plutôt un espace de problèmes, il n’est pas une réponse, mais un champ de questionnement. Il veut dire tout à la fois un refus et une intention.

Un refus : nous ne sommes pas condamnés à l’alternative du Marché et de l’État, du privé et du public, pour penser l’organisation des sociétés. Cette opposition qui structure la « pensée dominante » est celle des alternances politiques et des luttes pour le pouvoir, non celle des processus réels de création et de production, des pratiques de lutte, des objectifs de transformation que le mouvement social est en mesure de se donner aujourd’hui. Elle s’épuise d’avoir trop souvent servi à justifier la défense des prérogatives de l’administration bureaucratique. Elle est de plus artificielle : l’Etat lui-même est en train de se transformer en entreprise selon les canons de la gouvernance du corporate state. Elle est enfin largement réductrice au regard de l’histoire entière du mouvement ouvrier : de l’association à l’autogestion en passant par les conseils ouvriers, ce mouvement a bien souvent porté le refus de l’opposition du Marché et de l’État.

Une intention : la magie des mots ne sera d’aucun recours. Construire le concept de « commun » suppose pour nous de se déprendre d’une conception métaphysique pour le concevoir comme une production, de revenir à l’histoire des « commons » et de clarifier les discussions théoriques auxquelles ils ont donné lieu,  d’examiner rigoureusement les pratiques réelles de co-production et de coopération dans de multiples champs, de considérer avec soin les implications et traductions sociales, politiques et juridiques du « commun » en termes de droits collectifs, de penser ce que peuvent être les normes et les modes de subjectivation qui relèveraient de ce « commun », de comprendre ce que pourrait être le passage du public au commun à partir de la production de nouvelles normes, et donc d’affronter la question de l’institution du commun.


Programme des séances :

3 novembre – « Passer du public au commun » avec Pierre Dardot et Antonio Negri

15 décembre – « Produire de la subjectivation, produire du commun » avec Judith Revel

19 janvier – « Association et communauté » avec Christian Laval et Pierre Dardot

9 février – Discussion collective

9 mars – « Une économie politique du commun » avec Christian Marazzi et Christian Laval

6 avril –  « Droit du commun » avec Ugo Mattei

11 mai – « Réseau et commun » détails à venir

8 juin –  Discussion collective